Seconde phase du PC: un bref bilan et deux scénarios proposés

(par Jean claude Deveze et Jean Baptiste de Foucauld)

1. Mieux comprendre ce qu?est vraiment le Pacte civique, où ce qu?il aurait dû être.
Le Pacte civique, avec sa plate-forme (« la crise, un appel à penser, agir, vivre autrement en démocratie ») et ses 32 engagements, se veut une « ?uvre ouverte », transpolitique, développant une vision systémique, globale, transversale, d?une mutation démocratique de la société. Axé sur des valeurs structurantes (créativité, sobriété, justice, fraternité), il précise pour les personnes, pour les organisations, pour le système politique les exigences d?une véritable démarche de transformation personnelle, sociale et citoyenne.
Ce type d?approche répond sûrement à une nécessité dans la situation actuelle. Mais elle se heurte aux multiples pesanteurs et clivages existants. L?expérience nous a montré en outre que, pour mettre en ?uvre cette ambition, le Pacte civique devait reposer en fait sur plusieurs dimensions que nous avons insuffisamment exploitées :
- Une dimension de prise de conscience et de remise en cause individuelle et collective, qui relève de la sensibilisation, du débat et de d?éducation populaire et citoyenne, que l?on aurait pu davantage alimenter en s?appuyant plus sur les engagements concrets de nos adhérents et sur des méthodes innovantes ;
- Une dimension de promotion de l?éthique du débat et de l?évaluation de la qualité démocratique, qui a été mieux nourrie, avec les travaux de l?OCQD, et avec l?organisation de débats contradictoires sur un certain nombre de sujets (mariage pour tous, laïcité, Europe, finance, emploi), d?autres étant en préparation (traité TTIP) ;
- Une dimension de think tank, qui a été très active pendant la période de construction du Pacte, entre 2008 et 2011, avec la rédaction de la plateforme et l?élaboration d?une série de fiches repères, mais qui a eu du mal à trouver son second souffle et à fonctionner en réseau avec les collectifs locaux et les organisations adhérentes, pourtant demandeurs (santé, immigration) ;
- Une dimension d?intervention dans le débat public qui a été mise en ?uvre lors des élections présidentielles, municipales et européennes et s?est traduite par la mise en circulation de documents de proposition et par quelques articles, malheureusement dans une certaine confidentialité et sans accès aux grands médias
- Une dimension, enfin, d?interpellation et de conseils aux décideurs, dont témoigne notre rendez-vous avec le Premier Ministre en avril 2013 ou avec les Ministres des affaires européennes, mais qui aurait pu être davantage exploitée (en matière d?emploi et de dépenses publiques par exemple).
Bien qu?une incontestable énergie ait été déployée dans ces différents champs, peu de résultats concrets visibles peuvent être mis à notre actif, ce qui ne veut pas dire que tout ceci soit resté sans effet pour les adhérents qui se sont impliqués et pour les personnes qui ont été approchées. Nos initiatives et nos efforts, trop dispersés et peu relayés, n?ont pas permis d?atteindre ce qui était pourtant notre première priorité : la diffusion du Pacte civique dans les territoires et auprès des différents types d?organisation susceptibles d?être concernées et auprès des jeunes générations.
Pour qu?une démarche aussi ample réussisse, il eut fallu que le Pacte civique soit porté par un ensemble de personnalités ayant une forte capacité médiatique susceptible de provoquer un effet d?entrainement général, qu?il dispose d?animateurs de talents et de moyens financiers accrus, et qu?il s?organise mieux autour d?objectifs prioritaires correspondants aux moyens mobilisés. Ce n?était pas impossible, mais cela ne s?est pas produit ou nous n?avons pas su le provoquer en générant les synergies ou effets de réseau qui auraient été nécessaires pour faire face à la parcellisation de la société civile. Nous n?avons peut-être pas assez mesuré à quel point le pacte civique était à contre-courant de la société individualiste et trop souvent cynique ou indifférente : la crise est systémique, mais les esprits ne le sont pas et l?action encore moins !
La démarche reste globalement juste et adaptée à la crise que nous connaissons. Mais il apparait maintenant qu?elle implique un véritable relai politique, social et culturel, relevant d?une part d?un programme de gouvernement et/ou de président de la République s?appuyant sur des institutions publiques solides (CESE, Commissariat à la stratégie et à la prospective, administrations, etc.), d?autre part d?une action collaborative de la société civile française, reposant sur les efforts des divers collectifs désormais présents sur le terrain ( les Etats Généraux du Pouvoir Citoyen et le collectif de la transition citoyenne notamment).
Tel est le bilan que l?on peut tirer de cette première phase. La démarche, dans sa globalité, ne doit pas être abandonnée, mais elle représente plus une perspective, une finalité, une espérance dont on ne saurait dire à ce stade qui pourrait en être le réalisateur, qu?une dynamique contribuant à redonner foi en la politique et sens à notre vie civique et démocratique. Comment donc, dans ce contexte, préparer utilement l?avenir ? Il semble que deux scénarios s?offrent à nous, d?une part recentrer le Pacte civique sur la mise en ?uvre de la promesse démocratique, d?autre part le centrer sur la qualité de notre vie démocratique.


2. Scénario 1 : Recentrer le Pacte civique sur la mise en ?uvre de la promesse démocratique


A) Trois objectifs précis

1) Recentrer les objectifs thématiques du Pacte civique
L?activité de think tank et d?intervention dans le débat public serait limité au départ aux trois chantiers dans lesquels nous avons montré une capacité d?organisation et d?action, le but étant, si possible, d?influencer concrètement et de manière mesurable le fonctionnement démocratique de la société : l?Observatoire citoyen de la qualité démocratique et l?éthique du débat, l?Union européenne et sa dimension démocratique, l?emploi et la démocratie sociale, à partir de la symbolique du premier mai. Sur ces trois domaines, un effort particulier de communication devrait être effectué.
On abandonnerait donc le projet d?élaborer de manière systématique des fiches repères sur tous les sujets et de traiter de tous les engagements politiques, sauf bien sûr si des équipes projet compétentes et motivée se mettaient en place autour d?animateurs s?engageant dans la durée. Par contre on approfondirait la possibilité de collaborer à l?édification d?une société civique.
2) Poursuivre la diffusion du Pacte et l?approfondissement des engagements
Le Pacte civique interpelle, marque d?une certaine empreinte des consciences, suscite des comportements ou les étaye quand la teneur des engagements est approfondie individuellement et/ou collectivement. Pour cette seconde phase, la présentation serait simplifiée et recentrée autour de la mise en ?uvre de la promesse démocratique.
La diffusion devrait se faire auprès des organisations citoyennes et de celles mentionnées aux engagements 8 à 17 qui n?ont pas encore été sollicités (entreprises, monde éducatif, banques, fonctions publiques, médias, communautés spirituelles), auprès des réseaux de jeunes créatifs et avec des personnes mobilisées dans leurs territoires et au sein des organisations.
Le Pacte civique sera rendu à la fois plus concret et gratifiant si :
- les adhérents individuels et les organisations concrétisent leurs engagements et organisent un réseau d?échange de bonnes pratiques et d?initiatives à mettre en scène et en chaîne sur le web ;
-les organisations adhérentes sont invitées à s?adresser aux adhérents du pacte civique, tant personnes qu?autres organisations, pour leur faire connaître ce qu?elles font, ce qu?elles leur proposent, ce qu?elles souhaitent de leur part. Une formule de « flash partenaire » pourrait être testée et rodée rapidement pour créer de véritables liens au sein du Pacte civique.
3) Renforcer les dynamiques entre collectifs locaux et entre organisations
L?objectif est de réussir un Pacte civique interactif, chaque adhérent apportant sa contribution au sein de collectifs locaux, d?organisations, d?équipes projet Pacte civique. L?organisation centrale serait là pour fournir des outils de reliance (lettre mensuelle, lettre initiatives?), pour favoriser au plan local comme au plan national les coopérations et les mises en réseaux (par exemple autour de l?éducation populaire et citoyenne), pour s?organiser pour les rendez-vous politique, pour faire le point sur les avancées et les difficultés du Pacte civique, pour encourager les échanges sur les trois niveaux de changement que propose le Pacte civique, pour promouvoir une culture partagée autour de l?articulation entre observer, discerner, s?impliquer, évaluer.
B Des moyens de mise en ?uvre adaptés aux objectifs
Les changements suivants devraient être effectués par rapport à la situation actuelle :
- Constitution d?une association du Pacte civique en bonne et due forme, avec des adhérents et donateurs, une AG annuelle, un CA d?une trentaine de membres composé pour moitié de représentants des associations partenaires et pour moitié de personnes individuelles, se réunissant une fois par trimestre, le bureau une fois par mois, avec une Présidence tournante, élue pour un an, et des vice-présidents ;
- La création d?un conseil consultatif auquel seraient invitées toutes les organisations signataires et / ou d?un comité de parrainage, composé de personnalités acceptant de parler du Pacte civique, se réunissant une fois par an ;
- L?institution d?une cotisation demandée systématiquement à tout adhérent au Pacte civique ;
- Une équipe réduite de salarié(s), stagiaires et bénévoles travaillant au siège sous la houlette d?un secrétaire général présent à plein temps, avec deux stagiaires consacrés à la communication, y compris la refonte du site internet, et à l?appui au travail sur la qualité démocratique.
- Des ressources humaines et financières d?une masse critique suffisante.


C Une mise en ?uvre progressive

La transition pour mener la seconde phase s?effectuerait pendant le premier semestre 2015, se terminant par un nouvel événement de lancement et l?élection des instances de la nouvelle association. Cela suppose, au préalable :
- De procéder à l?adaptation et au complément des textes principaux, notamment la plate-forme, à une version à la fois complété et simplifiée des 32 engagements, à la mise en place d?une nouvelle documentation de base ;
- D?élaborer les statuts de la nouvelle association qui prendra la suite de l?ASPC ;
- De relancer le processus d?adhésion de cotisation, tant auprès des anciens, que vis-à-vis de nouveaux, notamment celles et ceux qui ont été inscrits au Pacte découverte.

Comme on le voit, cette proposition est encore ambitieuse, tout en étant assez proche de ce que nous faisons actuellement, avec moins de dispersion et une meilleure organisation. Ceci suppose néanmoins des moyens financiers plus importants que ceux dont nous disposons actuellement (même si nous pouvons réaliser des économies dans notre budget actuel). Peut-on raisonnablement s?engager dans une telle voie alors que nous peinons à boucler notre budget 2014 ? Cela dépendra d?une part des réponses que nous obtiendrons aux demandes de financement en cours et d?autre part du support financier donné à ce schéma par les organisations fondatrices ou partenaires, un bilan devant être fait lors du collectif du 17 octobre.

3. Scénario 2 : un Pacte civique allégé consacré à l?évaluation de la qualité démocratique nationale ou locale

Dans une perspective d?allègement, le Pacte civique se libérerait des tâches de think tank et d?intervention dans le débat public en vue d?obtenir des résultats concrets sur la qualité démocratique, tâches qu?il a beaucoup de mal à remplir. Il mettrait en ?uvre à cet effet un processus d?observation et d?évaluation en continu de la qualité démocratique, tant au niveau national qu?au niveau local, à partir de la base constituée par les travaux de l?Observatoire citoyen de la qualité démocratique, avec une communication renforcée.

Dans cette optique, les quatre valeurs du Pacte et les 32 engagements qui les concrétisent seraient considérées moins comme des engagements à remplir, ce qui peut paraitre lourd, que comme les éléments d?une grille d?évaluation de la qualité démocratique de nos comportements, du mode de fonctionnement des organisations, et de l?action publique. Dès lors, l?objet du Pacte civique serait de fournir régulièrement des évaluations sur ces différents domaines, selon des méthodes à définir, en commençant par la vie publique à partie du socle constitué par les travaux de l?OCQD. Ces évaluations seraient communiquées non seulement aux adhérents du pacte civique, personnes et organisations, mais aussi et surtout à un réseau de journalistes, réseau à constituer, puisque le but est de provoquer des retombées médias susceptible d?influencer le cours des choses. Cette action serait accompagnée au niveau territorial par les collectifs locaux, en interaction avec les travaux nationaux.

Concrètement, l?action du collectif national et des collectifs locaux pourrait reposer sur trois événements à organiser chaque trimestre, qui seraient retracés dans la Lettre mensuelle du Pacte civique :
- une évaluation de la qualité démocratique d?une action, d?une politique publique, d?une construction de rapports entre acteurs de la société civique, etc. ;
- une proposition de discernement politique ou d?éducation citoyenne (session de formation, débat en termes de construction d?accord/désaccord sur un sujet d?actualité complexe de politique nationale ou locale, débat qui pourra aider ensuite à réaliser une évaluation?);
- la présentation suivie d?une discussion d?une initiative partenariale d?une organisation adhérente ou proche, en liaison avec les EGPC ou un autre collectif.

Pour mettre en ?uvre ce scénario, une organisation voisine, mais un peu plus légère que celle qui a été proposée ci-dessus, serait mise en place.

L?avantage de cette approche est qu?elle est moins lourde, plus claire et à notre portée. Elle implique moins de moyens, puisqu?elle peut être mise en ?uvre par des bénévoles qui peuvent y trouver intérêt. Elle est par nature transpolitique, tout en échappant aux difficultés de l?intervention active dans ce domaine. Elle pourrait répondre à une attente des citoyens soucieux d?être alimentés et guidés dans leurs analyses et dans leur choix. Le but serait de prendre place peu à peu dans le débat, de devenir une référence, comme d?autres ont su le faire dans leur domaine (Transparency, Amnesty, Finance Watch, etc.). Des partenariats ou même des regroupements pourraient être envisagés avec des projets poursuivant un objet proche. Parallèlement, les phénomènes de concurrence non voulues, mais de fait, entre le pacte civique et des démarches à la fois proches et plus orientées (Colibri, Transition, EGPC, etc.) seraient fortement réduits, une meilleure division du travail s?opérant, facilitant des complémentarités qui peinent à s?exprimer aujourd?hui.

On le voit, ce redéploiement présente bien des avantages. Cela aboutit à un Pacte civique plus modeste ou autrement ambitieux, mais plus réaliste. Moins mobilisateur en termes d?action, car il n?est pas prouvé que l?action puisse être toujours transpolitique. Attirant sans doute d?autres types de personnalités, peut-être moins intéressant (ou autrement intéressant) pour les organisations ou certaines d?entre elles. Si l?on s?engageait dans cette direction, il y aurait donc les précautions suivantes à prendre :
? Poursuivre la diffusion du Pacte, dans cet esprit évaluatif, s?agissant tout de même d?une évaluation orientée autour de la mise en ?uvre de valeurs et autour d?engagements les concrétisant, qu?il faut continuer à faire connaître et à faire signer ;
? Ne pas s?interdire d?entrer dans le domaine de l?intervention et de l?action si la nécessité en apparait clairement, notamment en cas de crise grave mais sans s?y obliger à l?avance ;

Sur le socle d?une évaluation réussie et reconnue, il redeviendrait possible de développer peu à peu les autres dimensions du Pacte civique que le réalisme aurait conduit à mettre en veilleuse ;

Il reste qu?il y a un certain paradoxe à se replier sur une dimension plus méthodologique alors que l?on sent venir une sorte de drame national aux contours non encore précisés, qui impliquerait plutôt une réaction en termes de prévention et d?action. Mais celle-ci n?apparait pas clairement non plus, et cette seconde orientation est peut-être un bon moyen de préparer utilement l?avenir.

JC Devèze et JB de Foucauld