Pour des méthodes démocratiques adaptées à nos choix de société


Question de méthode, sans doute : l'élaboration et le vote en première lecture de la loi sur le « mariage des couples de même sexe » révèlent une faiblesse de notre démocratie. A quoi a-t-on assisté ? Tandis que s'instaurait progressivement un réel débat dans la société, le vote de la loi est devenu à la chambre des députés un terrain d'affrontement politique, majorité contre opposition ; les uns ont multiplié les amendements inutiles, les autres ont exigé une discipline de vote ne respectant pas la liberté de conscience.

Et pourtant, la majorité des opposants à ce projet ne nient pas la légitimité pour les couples homosexuels de se lier de manière plus solennelle et avec davantage de droits. Une fois de plus, nous nous sommes livrés à une guerre de tranchée à la française qui laissera des traces. Avec du temps et de la méthode, une solution plus consensuelle aurait pu être trouvée. Tirons-en les leçons pour la préparation et la discussion de la future loi sur la famille et la filiation. Celle-ci va conduire à repenser de nombreux autres aspects touchant la famille, la filiation, le droit de l'enfant, la procréation médicale assistée et la gestation pour autrui. Sans que personne, au plus haut niveau de l?État, ait sur ces sujets majeurs, tracé la moindre perspective.

Touchant à l'évolution de notre société, de tels sujets ne peuvent être tranchés par les seuls législateurs dans le cadre d'un calendrier contraint. S'il est judicieux de reporter à l?automne l?examen du projet de loi sur la famille et la filiation initialement prévue fin mars, il reste à craindre que, une fois de plus, les exigences d'un exercice de haute qualité démocratique ne soient pas réunies. C'est pourquoi nous demandons que soit pris le temps de présenter aux citoyens et aux organisations de la société civile, avant de les soumettre aux représentants de la nation, l'ensemble des choix sociétaux qui concernent le couple et la famille, la procréation et l?enfant. Sur ces sujets, on ne saurait légiférer sans que nos concitoyens aient une vision claire des conséquences et des implications des diverses propositions possibles.

Ainsi, pour préparer les grandes réformes sociétales, nous estimons nécessaire de mettre en ?uvre de nouvelles méthodes pour améliorer la qualité de nos processus démocratiques. D?abord des groupes de travail qui instruisent les débats complexes, analysent les solutions à y apporter en tenant compte des problèmes qu?elles peuvent poser, sans oublier les leçons à tirer d?expériences étrangères. Ensuite une mobilisation de l?intelligence collective grâce à des débats citoyens, grâce à des conférences de consensus comme dans le cas de la réflexion sur la prévention de la récidive, grâce à la saisine du Conseil économique, social et environnemental qui associera la société civile. Sans négliger le recours à une autre méthode, celle de la construction des désaccords féconds pour les cas où les compromis n?apparaissent pas possibles.

Bien sûr, le législateur aura toujours le dernier mot. Mais la méthode employée, qui peut varier selon les sujets, lui permettra d?élargir la base du consensus et, en tout cas, de mieux apprécier les enjeux et les conséquences de l?option qu?il retiendra. Sans oublier les moyens de suivi et d?évaluation des réformes adoptées. Sans craindre les ajustements que cela pourrait suggérer. N?est-ce pas d?ailleurs le principe retenu pour nos lois de bio-éthique ? Ne l?oublions pas, pour notre démocratie, la voie suivie compte autant que le résultat obtenu. Les reformes sociétales nécessitent de promouvoir l?éthique de la discussion et de rénover et d?enrichir l?outillage notre démocratie. Ne laissons pas passer cette opportunité.

Jean-Claude Devèze, Jean-Baptiste de Foucauld, Bénédicte Fumey, Pierre Guilhaume, Jacqueline Louiche, Jean-Pierre Worms, Annie Zimmermann, Pacte civique (www.pacte-civique.org)