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Questions pour un ... Macron

Chapeau :
Libre propos de Pierre Guilhaume, relatant quelques impressions recueillies au cours du meeting d'Emmanuel Macron, à Lyon le 4 février.
Billet :

Lyon, le 5 février.

J’étais hier au gigantesque meeting d’Emmanuel Macron, au Palais des sports de Lyon. Je voudrais tout d’abord, un peu d’autocongratulation ne faisant jamais de mal, souligner la bravitude que représente une telle participation : pas moins de 2 heures de queue, heureusement sous un ciel clément, avant d’atteindre une place assise à l’intérieur du bâtiment, privilège réservé, si mes informations sont exactes, à un peu plus de la moitié des participants. Bravo à ceux qui, moins chanceux ou moins en avance, ont dû se contenter de l’écran géant placé à l’entrée du Palais des sports.

Deux bonnes heures de discours, émaillées, toutes les trois phrases, de cris endiablés de l’assistance, « Macron président », « On va gagner » et autres slogans stimulants, accompagnés d’une chorégraphie classique, olas et mouvements de drapeaux, battements de mains, et, pire, de pieds (qui ont le don d’angoisser l’ancien ingénieur que je suis, plusieurs fois confronté à des phénomènes menaçants de résistance des structures métalliques). Cette ferveur populaire indescriptible m’a finalement découragé de prendre des notes. Pardon d’avance pour certaines approximations dans la suite de mon propos !

Sur les discours introductifs, et en particulier celui du Premier des Lyonnais, au contenu proche de zéro, mieux vaut passer rapidement. Citons un clip touchant, du champion lui-même, enjoignant ses supportères de présenter leur candidature aux éliminatoires pour les législatives, après en avoir discuté en famille … plein de réalisme et de bienveillance. Les candidates ne représentent en effet, à ce jour, que 15% des volontaires. Appel appuyé par une déléguée de l’Ouest de la France au verbe haut et enthousiaste !

Alors arriva le champion lui-même, sur fond d’une musique excellemment choisie, obstinée et envoûtante, serrant des dizaines de mains sur son passage, bien dans sa peau, bien dans son rôle (rapidement assimilé !)

Passons au discours lui-même, prononcé, lorsque la salle lui en laissait le loisir, avec aisance et professionnalisme, une voix chaleureuse, un visage expressif retransmis en gros plan sur de multiples écrans,  de la belle ouvrage ! Le discours fut structuré de manière simple autour des trois valeurs républicaines, longuement et successivement développées.

Les valeurs

Reconnaissons tout d’abord qu’il n’est pas très courant de s’appuyer sur des valeurs pour structurer son propos, de prendre le temps d’expliquer les raisons qu’on a d’y adhérer, plutôt que de passer en revue les thématiques habituelles, en commençant bien sûr par l’économie, pour terminer, à toute vitesse, s’il y a encore le temps, par l’Europe et l’international.

Remarquable aussi, cette manière de s’engager sur la mise en œuvre de projets, mettant en œuvre des valeurs, plutôt que de décliner un catalogue de mesures numérotées, ce qui, il est vrai, simplifierait grandement la tâche du contrôle citoyen a posteriori : « la 15, oui, tenue ; la 22 partiellement, la 31 pas du tout ! » On ne peut pas tout avoir !

La liberté fut plus longuement développée que les deux autres valeurs, mais on ne peut pas dire que la fraternité fut négligée, déployée à travers de nombreuses problématiques, telles que le sort des territoires enclavés, l’accès à la culture, la laïcité, la lutte contre les discriminations …

Si on essaye, en bon pratiquant, de passer les différents engagements énoncés au crible des quatre valeurs cardinales du Pacte civique, on arrive rapidement à un constat clair :

  • ·    Créativité, oui, ô combien ! Pour les jeunes, les chercheurs, les demandeurs d’emploi, les artistes, une meilleure répartition des rôles entre femmes et hommes, etc.
  • ·      Sobriété, non, ou si peu ! Nous y reviendrons.
  • ·    Justice, oui ! Une justice concrète (fiscalité, salaires, logement, éducation, emploi), beaucoup plus que l’instauration de nouveaux droits.
  • ·     Fraternité, oui, vraiment oui ! Le « vivre ensemble », développé sous de nombreux aspects.

Les grandes thématiques

Une première approche consiste, en tenant toujours ferme le gouvernail pacteciviquien, à regarder comment sont traitées les « priorités incontournables » de notre livre.

  • ·    L’Europe : elle est abordée sous un angle très culturel, presque sentimental, à partir de l’histoire, de la recherche de la paix. La salle approuve d’ailleurs bruyamment, ajoutant à ses slogans interminablement répétés « Europe, Europe ! ». L’engagement porte plus sur une attitude, faite de fidélité et de loyauté à l’égard de l’Union, que sur des projets, ce qu’on peut regretter. Quid de l’Europe sociale, de la zone euro, de la coordination des politiques économiques, de la participation citoyenne … ?
  • ·     Les migrants : profession de foi peu détaillée, mais claire sur les valeurs à déployer, sur le rejet du repli sur soi, sur la capacité de la France à développer une attitude plus accueillante.
  • ·    Le travail et l’emploi : prestation intéressante sur la créativité à développer, l’accompagnement des initiatives des demandeurs d’emploi, une sécurité sociale professionnelle ouverte à tous les statuts, le rattachement des travailleurs indépendants au régime général ; une ode au travail, à la négociation dans l’entreprise, et une critique ferme du revenu d’existence.
  • ·  La transition énergétique : le sujet est abordé principalement sous l’angle de l’investissement nécessaire, privé et public, très peu sous celui des changements de comportement individuels.

Il reste à aborder les creux du discours, ce qu’il ne dit pas, ou ce qu’il évoque brièvement, au coin d’une subordonnée relative, creux qui sont tout aussi révélateurs et intéressants que les affirmations puissamment déclamées.

L’équation budgétaire

Un impératif est clairement énoncé, celui de respecter les engagements de la France vis-à-vis de l’Union européenne, en matière de déficit et de dette publics. J’avoue que cela me rassure plutôt, tant il est vrai que la finance internationale ne nous fera pas de cadeau si ces éléments ne sont pas maitrisés.

En même temps, même s’il est prévu de les déployer sur un temps long (en général, le quinquennat), les orientations annoncées, trop imprécises pour être chiffrées (mais doit-on s’en plaindre ?), laissent entrevoir des besoins financiers importants : augmentation du nombre d’instituteurs (+ revalorisation salariale pour ceux qui travaillent dans les ZEP), de policiers, de chercheurs ; accroissement du budget militaire ; implication de l’Etat dans le désenclavement des territoires défavorisés ; investissement public dans les énergies renouvelables, le logement, etc.

Alors, que propose notre champion ? Rien d’explicite, hélas ! Si les projets en faveur de l’innovation et de la compétitivité des entreprises sont omniprésents, on ne nous affirme pas - heureusement ! - que la croissance induite permettra, séance tenante, de financer tous les projets. Qui le croirait ?

Ce qui est probablement sous-entendu, et que confirme la lecture de son livre, c’est que, bien sûr, tout ne sera pas fait en même temps, et qu’il y aura lieu de procéder régulièrement à des arbitrages, ce qui veut bien dire que certains projets attendront, et que d’autres, si les circonstances économiques ne sont pas favorables, seront repoussés bien au-delà du quinquennat.

Cela n’est pas choquant en soi, ce qui l’est, c’est de ne pas le dire ! Pourquoi, devant 14 000 citoyens et la presse réunie au grand complet, ne pas l’affirmer clairement ? Pourquoi laisser croire que tout ce qui est annoncé sera exécuté ? Notre champion compte-t-il être élu en promettant des lendemains qui chantent, ou en parlant un langage de vérité et de responsabilité, incluant la nécessaire sobriété des comportements individuels et collectifs ?    

La démocratie

C’est le grand absent du discours ! Idem pour les institutions !

Une option est clairement affichée, c’est le renforcement du rôle de l’Etat : Etat protecteur, Etat régulateur, Etat arbitre, et d’une certaine manière, Etat visionnaire. Nous ne sommes pas du tout, contrairement à ce qu’affirment certains, dans le registre du libéralisme laisser-faire.

Par ailleurs, la méthode innovante qui a prévalu dans la constitution du mouvement En Marche (qui rappelle un peu l’initiative Désir d’avenir de Ségolène Royal en 2006) indique bien une intention de faire appel à l’intelligence citoyenne. Mais qu’en sera-t-il au-delà de mai 2017 ?

Enfin, les objectifs fixés pour la constitution des candidatures aux législatives (50% de femmes ; 50% de citoyens n’ayant jamais exercé ce type de mandat) indiquent une volonté de dé-professionnaliser et d’améliorer la représentation nationale, pour qu’elle colle mieux à la société réelle. C’est un progrès important. Mais suffit-il d’améliorer notre démocratie représentative pour que le système politique réponde aux aspirations des citoyens ?

Pour ne pas décevoir l’espérance qu’il soulève, Emmanuel Macron a, dans un laps de temps extrêmement court, deux tâches extrêmement complexes à accomplir :

  • ·     jeter les bases d’une mutation démocratique effective, en définissant la manière dont il entend gouverner et engager (en prenant le temps qu’il faudra) l’indispensable réforme des institutions ; ce qui l’oblige en particulier à se démarquer clairement de la posture d’homme providentiel qu’il incarne, sans doute à son corps défendant, dans ses meetings ;
  • ·     former sur des bases nouvelles un parti politique, préfiguré par En Marche, adapté à notre siècle.

Sacré défi pour un champion !