"L?esprit du 11 janvier 2015" Appel du Pacte civique

16 janvier 2015.

Nous avons tous vécu, le dimanche 11 janvier, un évènement exceptionnel, qui marquera sans doute l?histoire de notre pays. Essayons, sans céder au culte de la réaction immédiate, d?en tirer quelques enseignements.
Qu?avons-nous constaté ? Un rassemblement massif, tout à fait inédit, de plusieurs millions d?habitants de notre pays, de tous âges, toutes origines, tous statuts sociaux, toutes opinions politiques, toutes croyances. Au-delà du rejet du terrorisme et de la barbarie, qu?ont-ils exprimé ? Trois convictions importantes, nous semble-t-il : le désir d?unité, le refus de la peur, le sentiment de fraternité. Ces valeurs se sont manifestées de manière si forte qu?elles bousculent, chez nous et chez de nombreux citoyens, non seulement des idées reçues, mais aussi des attitudes et des comportements quotidiens.

Le désir d?unité s?est exprimé d?abord dans les faits. L?appel à l?unité lancé au sommet de l?Etat a été repris et respecté du haut en bas de la chaîne, par les services de l?Etat, les partis politiques, la société civile et les médias, sous la pression populaire. Les transgressions, rares et dispersées, sont passées quasiment inaperçues.

« Même pas peur ! Liberté ! » : le refus de la peur, associé à l?exaltation de la liberté, c?est la conviction que notre sécurité est bien plus liée à l?unité et la fraternité de notre société qu?à des dispositifs ultra-sécuritaires compromettant notre liberté. Ce qui n?enlève rien à la nécessité pour les pouvoirs judiciaires et policiers, nationaux, européens et mondiaux, d?améliorer leur coordination et leur efficacité, mais sans remettre en cause les libertés publiques.

« Je suis juif, musulman, flic, je suis la République » : la fraternité s?affirme d?abord comme le respect et l?acceptation de toutes les différences. Elle se poursuit par la solidarité, mais ne s?y réduit pas. Elle conditionne et donne du sens aux deux autres valeurs affichées aux frontons de nos mairies, elle est indissolublement liée à la sécurité.

Toutefois, une partie importante de nos concitoyens, notamment les jeunes des « quartiers » et des périphéries, subissant des situations d?exclusion contraires aux principes républicains de liberté, d?égalité et de fraternité, ne s?est pas sentie partie prenante de cet élan, refusant de cautionner un discours trop éloigné de son vécu quotidien.

Sans ignorer cette terrible fracture, nous lançons un appel aux forces vives de notre pays pour ne pas laisser retomber cet élan, pour donner corps, ensemble, dès aujourd?hui, à la fraternité célébrée par notre peuple le 11 janvier :

Nous demandons d?abord au Président de la République et au gouvernement de prendre une initiative forte pour lancer la construction collective de ce qui reste le parent pauvre de notre République, le volet de la fraternité.
Ce chantier doit s?étaler dans la durée, et mobiliser l?ensemble de la société, collectifs, associations, syndicats, partis politiques, élus, entreprises, services publics et simples citoyens. Il ne doit pas avoir pour seule ambition de rassembler le peuple, dans l?esprit du 11 janvier 2015, mais aussi de construire ensemble, dans tous les domaines de la vie sociale, des réponses aux défis d?aujourd?hui et de demain.

Nous demandons aussi aux partis politiques de changer de regard sur la société et de comportement collectif : considérer qu?ils ne détiennent pas toutes les solutions, qu?ils doivent s?appuyer sur l?ensemble des forces vives de la société pour définir et préparer la transition vers la société de demain ; cesser de semer la division, accepter de débattre entre eux, et avec la société civile.

Nous demandons surtout à toutes les forces de la société, aux salariés et aux dirigeants des entreprises, aux agents de l?Etat et des collectivités, aux enseignants, aux soignants, à toutes les organisations citoyennes, dont nous faisons partie, aux associations religieuses, syndicales, culturelles, sportives, d?élargir leur action, de coopérer, et d?élaborer en commun des propositions pour sortir du culte de la compétition et de l?argent-roi, ennemis de la fraternité, et pour assurer dans les faits une égalité d?accès aux biens communs.

Nous demandons aux médias de changer de regard sur la société et sur leur métier : sortir de la « bulle médiatique » qui les enferme, rendre compte du mouvement de la société, préférer la réflexion longue à l?approximation immédiate, nourrir et organiser un débat approfondi et respectueux entre opinions et intérêts différents, contribuer à construire la fraternité.

Nous demandons à l?ensemble des citoyens de poursuivre la formidable entreprise qu?ils ont lancée, d?approfondir leur vision de la fraternité en recherchant les meilleurs équilibres entre liberté et responsabilité, entre droits juridiques et obligations morales, entre épanouissement personnel et engagement au service de la collectivité, de réfléchir à la manière dont ils peuvent contribuer, concrètement, avec modestie et détermination, à la transition vers la société dont ils rêvent.

Impliquons-nous, renforçons l?élan collectif du 11 janvier 2015